Opaque et difficilement traçable, la société civile immobilière est le format idéal pour dissimuler son patrimoine. Un avant-projet de loi propose d’y remédier.
Les sociétés civiles immobilières vont sortir de l’ombre. C’est ce que promet un avant-projet de loi actuellement soumis au Secrétariat général du gouvernement. Le texte agit sur le Dahir des obligations et des contrats et sur le Code de commerce, assignant ces entités à plus de transparence. L’objectif, entre autres, est de contrer le phénomène de la spoliation foncière.
Si, pour les prédateurs, le faux est le mode opératoire classique, les SCI peuvent constituer un véhicule. “Nous avons constaté des cas de falsification par le biais de ces sociétés”, note Maître Abdellatif Yagou, président de l’Ordre national des notaires. Il fait partie de la commission anti-spoliation créée suite au coup de semonce royal du 30 janvier 2016.
L’Ordre des notaires et l’Agence nationale de la conservation foncière sont d’ailleurs à l’initiative de l’avant-projet. Dans l’état actuel des choses, le fait que ces entités échappent aux règles de publicité donne du fil à retordre aux praticiens du droit.
“Ces sociétés n’ont pas de personnalité morale. Elles n’offrent aucun repère et peuvent être créées par n’importe quel quidam. Rien ne permet de vérifier l’authenticité de leurs actes ou celle de l’identité des gérants”, peste le notaire.
Côté robes noires, son de cloche identique: “Une SCI n’est pas traçable et ne peut pas faire l’objet d’une recherche numérique à l’échelle nationale”, affirme Me Zineb Laraqui, avocat au barreau de Marrakech. Ces sociétés sont “difficiles à assigner. Il faut se déplacer dans la ville où se situe le bien immobilier et demander le dossier juridique à la Conservation foncière, sachant que la recherche par nom n’est pas possible”, raconte cette juriste d’affaires.
Pour cette praticienne, obtenir des informations sur une SCI a toujours été une gageure. Le comportement souvent réticent des conservateurs n’aide pas. “Beaucoup rechignent à communiquer les dossiers. Certains refusent en invoquant la confidentialité”. Résultat: “la SCI est le moyen idéal pour ceux qui voudraient dissimuler leur patrimoine foncier. Les parts sociales d’une SCI peuvent faire l’objet d’une cession en toute discrétion, et leur insolvabilité peut être facilement organisée”, commente notre interlocutrice.
La personnalité morale dès l’inscription au registre de commerce et des sociétés
Comment remédier à cette opacité ? L’avant-projet comble un vide juridique en fixant les règles de création des “sociétés dont l’objet porte sur des actifs immobiliers”, lesquelles acquièrent la personnalité morale dès leur immatriculation au “registre de commerce et des sociétés”. Le contrat portant constitution de la SCI doit être daté et contenir des informations détaillées (objet de la société, sa dénomination, le montant de son capital, la part de chaque associé et sa valeur, le nom complet, l’adresse et signature de chaque associé etc.)
Remarque : A l’appellation ” registre de commerce”, actuellement en vigueur, le texte substitue “le registre de commerce et des sociétés”, façon de soumettre les sociétés civiles à l’obligation d’immatriculation.
Le code de commerce est modifié de manière à ce que ces société soient “tenues de requérir leur immatriculation au secrétariat-greffe du tribunal dans le ressort duquel leur siège est situé”. Dans leur déclaration au tribunal, elles doivent mentionner, entre autres, leur objet et leur activité.
Ainsi, tout intéressé “va pouvoir obtenir un modèle 7 auprès du président du secrétariat-greffe. Il sera donc possible de prouver l’existence de la société, d’établir son historique et d’identifier la personne habilitée à la représenter”, estime Me Yagou. Ces meures, dit-il, sont susceptibles de “rassurer les citoyens, protéger leur propriété immobilière et, in fine, d’améliorer le climat général des affaires”, commente le juriste.