Rapport de la Cour des comptes/Logement social: Fissures à tous les étages

La demande porte surtout sur le produit à 140.000 DH, pourtant délaissé
Les opérateurs préfèrent le segment à 250.000 DH en raison de sa marge
Le foncier cédé à des prix préférentiels ou symboliques parfois détourné

Pas d’études préalables, finalités mal définies, incohérence avec les autres programmes d’habitat, effet d’éviction vers un segment (logement à 250.000 DH) au détriment de l’autre (140.000 DH), détournements de foncier… Dans son rapport 2016-2017, la Cour des comptes a passé à la loupe le dispositif du logement social.

Le programme avait été lancé en 2008 (logement à 140.000 DH) et 2010 (produit à 250.000 DH) au profit des ménages qui ne peuvent accéder à la propriété immobilière dans le marché conventionnel. Mais il n’a fait l’objet d’aucune étude pour déterminer sa conception et définir les besoins en termes de qualité et de quantité.

Il est donc difficile de situer les dispositifs dédiés à la production de logement social dans la politique d’habitat et de déterminer la vocation que le gouvernement a cherché à lui attribuer. Par conséquent, les magistrats de la Cour des comptes se demandent si le programme de logement social, tel qu’il est mis en œuvre, a pour but de résorber le déficit en habitat ou de prévenir les besoins futurs».

Ce à quoi le département en charge de l’Habitat rétorque que «les raisons qui ont dicté le lancement de ces dispositifs sont le déficit accumulé et son importante évolution au fil des années». Il s’agit d’un programme de correction du déficit et non de prévention.

Mais les résultats ne sont pas proportionnels aux ressources déployées. Ils sont même en contradiction avec les objectifs de départ. Ainsi, pour le produit à 140.000 DH, seules 6.020 unités sur 21.006 réalisées (29%) à fin 2016 ont été affectées au programme «villes sans bidonvilles» et 1.113 (5%) au programme de l’habitat menaçant ruine. Quant à la contribution du produit à 250.000 DH à ces programmes, elle reste dérisoire puisqu’elle n’a pas dépassé 1,47%.

L’analyse des deux produits montre qu’ils présentent des caractéristiques techniques presque identiques. Pourtant, il s’agit de deux modèles économiques différents. Sur le segment 140.000 DH, l’opérateur dégage une marge brute (hors foncier) de 43860 DH. En revanche, sur le logement à 250.000 DH, les promoteurs ont une marge brute de 122.850 DH.

D’où la préférence des investisseurs pour ce segment. Un engouement à l’origine du nombre de conventions signées entre l’Etat et les promoteurs, totalisant 1.550.004 unités à fin 2016. Dans le même temps, le nombre de logements à 140.000 DH réalisés ne dépasse pas 17% des objectifs qui étaient fixés à 130.000 pour la période 2008-2012.

Il a fallu attendre 2012 pour qu’une enquête quantifie le déficit au niveau national et propose l’élaboration d’une méthode d’évaluation des besoins.

L’enquête de l’Habitat avait conclu que l’essentiel des besoins se situait au niveau du produit à 140.000 DH. Mais ce segment est resté le parent pauvre de la politique gouvernementale en matière de logements. Cela se vérifie au niveau de la répartition des dépenses fiscales de l’Etat, des collectivités territoriales entre les deux segments.

A fin 2015, le logement à 250.000 DH s’est accaparé 14,9 milliards de DH de dépenses fiscales contre 574,8 millions de DH pour le produit à 140.000 DH. Ce qui représente une contribution publique de 84.368,12 DH pour le logement à 250.000 DH contre 40.136,86 DH pour celui à 140.000 DH. Pourtant, c’est le segment qui devrait concentrer l’essentiel des efforts de l’Etat. Il y a aussi le fait que la demande solvable se trouve dans les grandes villes.

Les enquêteurs de la Cour des comptes ont également relevé l’absence d’instruments de régulation. Ce qui a conduit à d’importants déséquilibres spatiaux, caractérisés par la surproduction dans certaines régions et l’insuffisance ailleurs. «Ce déséquilibre est caractérisé par un effort financier considérable qu’il aurait été judicieux de réorienter vers d’autres régions ou vers le segment du logement à 140.000 DH. Si des mécanismes de régulation avaient été instaurés».

Beaucoup d’appartements à 250.000 DH ont été achetés dans des villes balnéaires comme résidences secondaires. Pour les enquêteurs de la Cour des comptes, le dispositif du logement social n’est pas assorti de mesures de ciblage et d’attribution. Du coup, les conditions d’éligibilité ont été verrouillées pour le produit à 140.000 DH, mais pour le logement à 250.000 DH, il suffit de ne pas être déjà propriétaire.

Les réalisations du programme de logement social n’ont pas permis de résorber de manière significative le déficit, étroitement lié à la capacité de financement des demandeurs. L’étude réalisée par le département de l’habitat sur la demande de logement a conclu que, sur une demande globale de 1,5 million d’unités tous produits confondus, 21% (18% en milieu urbain) ont des revenus mensuels inférieurs à 2.000 DH. Cette catégorie reste exclue du dispositif.

Du foncier, mais peu de logements sociaux

Les enquêteurs de la Cour des comptes ont relevé que depuis 2003, le total du foncier public cédé à la holding Al Omrane et aux autres opérateurs publics a atteint 7.664 ha. Il a été mobilisé dans le cadre de deux conventions (2003 et 2009) entre l’Etat et d’autres opérateurs publics. Au 30 septembre, 4.706 ha ont été exploités par Al Omrane soit en tant que maître d’ouvrage, soit dans le cadre d’un partenariat. Les opérateurs concernés, qui avaient bénéficié de prix préférentiels et de conditions favorables de péréquation, devaient construire 184.061 unités, dont 69.954 à 250.000 DH et 31.542 à 140.000 DH. Ce qui montre que 45% des logements restants (plus de 82.000 unités) ne font pas partie du programme d’habitat social. Au final, il n’a été construit que 68.048 unités au lieu des 101.496 convenues sur une superficie de 823 ha. Certains terrains cédés parfois à des prix symboliques sont donc utilisés à d’autres fins que la production du logement social et la construction d’équipements publics.

leconomiste.com

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