Les professionnels des industries métallurgiques et mécaniques s’opposent officiellement et avec une grande fermeté à la demande de Maghreb Steel, en vue de l’obtention de nouvelles mesures de sauvegarde concernant les tôles laminées à chaud.
C’est leur association professionnelle, la FIMME (Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques) qui est montée au créneau à travers un mémoire adressé au ministère de l’Industrie, le jeudi 4 juillet 2019.
Ce mémoire prend position, argumente contre toute protection nouvelle dans ce secteur et annonce une étude à venir. Il sera donc “complété et détaillé ultérieurement sur la base de documents probants qui devront faire l’objet d’un examen approfondi, notamment durant toute la durée de l’enquête et pendant les audiences publiques“.
Les arguments exprimés ne sont pas nouveaux. Ils sont connus par toute la profession. Avec le temps, ils deviennent plus audibles. Médias24 s’en fait l’écho depuis quelques années. Mais cette fois-ci, ils sont endossés par l’organisation professionnelle représentative de la profession.
Le fond de l’affaire est simple. Le mémoire de la FIMME ne l’exprime pas en ces termes, mais in fine, c’est de cela qu’il s’agit :
Le mémoire est signé du président de la FIMME, Tarik Aitri et de l’avocat d’affaires, Me Amin Hajji. Il fait suite à l’avis public N° 10/19 en date du 24 mai 2019 du ministère de l’Industrie. Cet avis annonçait une enquête de sauvegarde sur les importations de tôles laminées à chaud, à la demande de Maghreb Steel.
L’argumentaire de la FIMME évoque “l’absence de la condition de l’accroissement massif des importations et de l’appréciation très discutable du dommage grave ou de la menace de dommage grave“.
L’organisation professionnelle “met en garde le ministère au sujet des effets négatifs potentiels d’une mesure de sauvegarde qui serait fatale au secteur entier des IMME, spécialement en considération des dommages graves et irréparables que pourraient subir en particulier l’industrie en aval ainsi que le secteur de l’emploi et l’économie nationale en général, sans compter l’autonomie du Royaume dans le domaine industriel“.
ll serait “vain de maintenir artificiellement” cet outil industriel
Le mémoire cible également “la requérante“ (Maghreb Steel), en citant des “problèmes liés en particulier à sa gouvernance [qui] se sont posés dans un passé récent“. Dans le même registre, le texte estime qu’il serait vain de maintenir artificiellement un outil industriel en l’état, sans savoir si les conditions l’ayant poussé à requérir une telle mesure sont liées à des conditions de marché difficiles, à un outil industriel inadapté ou à une mauvaise gestion“. Et d’enfoncer le clou : “aucun audit opérationnel, financier, juridique ou fiscal n’a été diligenté à travers une expertise indépendante aux fins d’examiner les causes profondes liées à une telle demande de sauvegarde“.
Sur la requête elle-même présentée par Maghreb Steel, la FIMME “corrige les informations erronées ou artificielles“ : Maghreb Steel revendique une capacité de production de bobines de 1.500.000 tonnes, “ce qui laisse sous-entendre un point de rentabilité à environ 700.000 tonnes“. Ici, la FIMME rappelle que la capacité totale du marché marocain, toutes nuances confondues, est seulement de 400.000 T. Même détenir la totalité du marché ne permettrait pas la rentabilité.
La requérante revendique une capacité de production de tôles fortes de 800.000 tonnes par an, “environ 840% des besoins du marché national“.
Même le montant de l’investissement initial de Maghreb Steel est mis en doute. Il ne s’agit pas de 3 MMDH pour créer l’aciérie, mais seulement de 1,3 MMDH. Selon les sources de Médias24, l’investissement initial est de 2,5 MMDH.
La FIMME ajoute que Maghreb Steel ne produit pas (et ne peut produire) la totalité des nuances, codes et grades. De ce fait, elle ne devrait pas demander une protection sur la totalité de ces produits.
La requête de Maghreb Steel est également épinglée pour avoir intégré dans son point 3.1, les importations en admission temporaire.
“Les importations d’acier (toutes nuances confondues) décrites dans la page 17 de la requête [de Maghreb Steel], reflètent un total de 106.868 tonnes pour l’année 2018. Ceci est relativement normal considérant la taille du marché domestique marocain. Il faudrait aussi rappeler que ce chiffre englobe les importations des constructeurs automobiles installés en zones franches, au Maroc“, accuse la FIMME.
Maghreb Steel est également épinglée pour ne pas avoir su se placer sur l’énorme marché européen, malgré le fait que les exportateurs marocains sont exonérés des droits additionnels à leur entrée dans l’UE.
La FIMME souligne à juste titre qu’au Maroc, “les grands donneurs d’ordre et les grands projets industriels qui sont consommateurs d’acier sont systématiquement bénéficiaires de conventions d’investissement conclues avec les pouvoirs publics, et ils obtiennent généralement des exemptions de droits à l’importation de biens et produits. De ce fait, toute mesure de sauvegarde de l’acier au Maroc serait fatale pour toute l’industrie nationale, car l’ensemble de la valeur ajoutée serait détourné vers les industriels étrangers au détriment des industriels marocains“. En d’autres termes, l’acier local marocain (et donc le produit fini marocain) sera plus cher alors que ce n’est pas le cas pour les produits importés en l’état ou sous forme d’intrants destinés à certains grands projets.
Une telle protection de Maghreb Steel aboutirait donc à renchérir le produit industriel marocain et à obérer la compétitivité du secteur, mettant en péril, les emplois et les investissements faits.
La FIMME revendique 87.000 emplois directs, 245.000 emplois indirects et 45 MMDH de chiffre d’affaires. Une telle mesure “n’est fondée sur aucune considération sérieuse, elle anéantirait non seulement plus de 70 ans d’histoire de l’industrie marocaine, mènerait à la suppression de plus de 100.000 emplois, elle causerait donc un sinistre social au niveau national et finirait aussi par conduire à la disparition de la requérante (!!!) qui se retrouverait sans marché national, lui-même voué à l’extinction du fait de telles mesures dites de sauvegarde“.
En conclusion, la FIMME rappelle que les effets des précédentes mesures de sauvegarde n’ont jamais été évalués. Elle met en cause Maghreb Steel et la pertinence de son business plan.
Et si jamais le ministère décidait néanmoins d’instaurer des mesures de sauvegarde, celles-ci doivent être limitées uniquement aux nuances, codes, grades, dimensions qui sont produits par la requérante. De plus, la FIMME demande “des mesures parallèles concrètes soient prises pour la protection de l’ensemble du tissu industriel national, respectivement et sans limitation l’industrie du tube, la chaudronnerie et les biens d’équipement, l’électroménager, le mobilier métallique, les bouteilles de gaz, l’industrie navale et l’industrie ferroviaire“.
Enfin, une préférence nationale est réclamée avec une suspension des exemptions au titre des conventions d’investissement étrangers directs“, en citant “tous les projets des grands donneurs d’ordre que sont l’OCP, l’ONEE, MASEN, l’ONCF, l’ONHYM, l’ANP, ADM, les collectivités territoriales, et d’une manière générale, sur l’ensemble des projets industriels et d’infrastructures publics“.