Loi Élan : vendre des logements sociaux, pas si simple

Le projet émis par le gouvernement d’Édouard Philippe de quintupler les ventes annuelles de logements sociaux s’annonce semé d’embûches.

Le gouvernement souhaite quintupler les ventes annuelles de logements sociaux. Le but ? Permettre aux bailleurs sociaux de construire davantage. Mais la tâche ne sera pas aisée. En effet, les gouvernements qui s’y sont essayés par le passé se sont confrontés à un certain nombre d’obstacles. Attendu en conseil des ministres mercredi 4 avril et à l’Assemblée début juin, le projet de loi Élan (Évolution du logement et aménagement numérique) doit faciliter la vente de logements sociaux, qui pourrait générer deux milliards d’euros, en allant jusqu’à 40 000 par an, selon le gouvernement.

Le texte dispense ces opérations d’autorisation préfectorale, supprime le droit de préemption des communes et permet au bailleur social de fixer librement le prix de vente s’il cède le logement à un autre organisme, afin de passer à la vitesse supérieure. « Cet objectif de 40 000 logements par an est très ambitieux », estime Pierre Madec, économiste à l’OFCE. « Aujourd’hui, on n’en est qu’à 8 000, le gouvernement veut quintupler ce chiffre », explique-t-il à l’Agence France-Presse.

Un accord passé en 2007 entre l’Union sociale pour l’habitat (USH, 723 bailleurs sociaux) et l’État fixait déjà l’objectif – resté inatteignable – de 40 000 mises en vente par an, sur un parc de 4,7 millions de logements. Ces cessions sont possibles depuis 1965. « Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas jusqu’ici ? Parce que les occupants du parc social sont des ménages modestes, au niveau de vie plus bas que celui de la population générale : ils ne sont pas en capacité d’acheter, même à des prix inférieurs à ceux du marché », analyse M. Madec.

Faible nombre de produits vendables
Tirant le bilan de ces ventes en 2016, l’USH imputait en effet ces difficultés à un « faible nombre de produits vendables » et surtout à une « capacité d’acquisition des ménages fragilisée ». Leur niveau de vie médian est inférieur à celui de la population générale : 15 900 euros, contre 20 200 euros, selon les derniers chiffres publiés. Des freins accrus par la décision du gouvernement de « quasi supprimer l’APL accession », souligne M. Madec. Celle-ci solvabilisait 50 000 ménages modestes par an, en réduisant leur mensualité de crédit. Pour venir en aide aux bailleurs sociaux qui manquent d’expertise pour réaliser ces opérations, l’organisme Action Logement (ex 1 % Logement) doit créer une filiale dédiée à l’achat en bloc de logements sociaux puis à leur vente à l’occupant.

Parmi les défenseurs des locataires, la Confédération nationale du logement (CNL) craint « la privatisation d’un bien public, financé avec la solidarité nationale ». « L’État justifie son désengagement financier en vendant les bijoux de famille pour financer les logements sociaux de demain », confie son président Eddie Jacquemart à l’AFP. « Des organismes privés rachèteront en bloc les fleurons des HLM » et les particuliers acquéreurs, eux, « seront surendettés à cause des charges élevées », générant des copropriétés dégradées, craint-il.

« Notre politique de vente est irréprochable »
Même son de cloche à la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) pour qui, en outre, « le maintien pendant 10 ans » au lieu de 5 ans aujourd’hui, « dans le décompte de la loi SRU » qui fixe des quotas aux communes, « des logements sociaux vendus n’est ni plus ni moins qu’un détournement de l’esprit de la loi ». « Cela conduit à gonfler artificiellement la taille du parc HLM, sans garantie d’une reconstitution de l’offre », estime l’association.

Mais pour certains bailleurs sociaux en revanche, financer la construction de nouveaux logements en vendant une petite fraction du patrimoine fait partie d’une gestion pragmatique. En cédant 4 100 logements l’an dernier, soit près de 2 % d’un parc de 260 000 logements familiaux, la CDC Habitat (ex SNI), volontariste en la matière, a ainsi pu lancer la construction de 15 300 logements. « Notre politique de vente est irréprochable : nous vendons des logements dans un état correct, sans quoi les accédants aux moyens modestes n’auraient pas les moyens d’entretenir le logement. Nous ne vendons pas aux marchands de sommeil non plus », lance son directeur Yves Chazelle à l’AFP. Chaque vente d’un logement « dégage des fonds propres pour financer la mise en chantier de deux autres ».

lepoint.fr

Commentaire

mood_bad
  • Aucun commentaire.
  • Ajouter un commentaire