Foncier: Le Parlement va amender la loi spoliatrice

Le propriétaire pourra récupérer son bien volé
Un futur fonds d’indemnisation pour les victimes

Le ministère de la Justice a tenu à faire entendre sa voix jeudi 5 avril, à Casablanca. L’événement auquel il a été invité par l’Association droit et justice au Maroc est de taille. Il y était question du bilan de la lutte contre la spoliation foncière. Presque deux ans après la sévère lettre royale adressée au monde judiciaire, le 30 décembre 2016.

Le directeur de la législation du ministère a tenu donc à faire le point sur les travaux de la commission chargée de contrer les spoliateurs. Selon Bensalem Oujida, l’entité présidée par son ministre de la Justice a tenu «six réunions» entre le 3 janvier 2017 et le 1er février 2018.

Ce magistrat annonce la couleur: «Nous sommes sur la bonne voie». Il liste les mesures entreprises devant une salle remplie de victimes sceptiques. Surtout face au chiffre annoncé de 58 dossiers de spoliation foncière! Alors que l’association qui les fédère fait état de 488 cas recensés à ce jour. L’Economiste reçoit pour sa part une moyenne de 2 à 3 demandes d’enquêtes par semaine.

Après les statistiques, le volet législatif. Le haut fonctionnaire revient sur le dernier amendement du code des droits réels. Désormais, les procurations portant sur une transaction immobilière doivent être rédigées par un notaire ou un adoul. Dans le cas contraire, la loi les sanctionnera de nullité. Les avocats habilités à plaider devant la Cour de cassation peuvent aussi rédiger un mandat relatif à une opération foncière (cf. L’Economiste n°5221 du 2 mars 2018).

Cette «mesurette», comme la qualifie Me Youness Anibar, «ne va rien régler». Les jurisprudences «contradictoires» de la Cour de cassation «vont continuer à nourrir l’insécurité juridique» (cf. L’Economiste n°4589 du 17 août 2015). Qui protégera le propriétaire spolié ou l’acquéreur de bonne foi? D’où la proposition de loi déposée par la majorité parlementaire.

Elle porte sur la loi spoliatrice, comme l’a surnommée L’Economiste. Il s’agit toujours du code des droits réels qui régit l’hypothèque, les droits de jouissance, d’usage… Son article 2 prive le propriétaire spolié de toute action judiciaire lorsqu’il n’agit pas dans les 4 ans suivant la découverte du forfait. Et même si le crime dont il est victime a été commis sur la base d’un dol ou d’un faux! Une mesure adoptée en 2011 et «qui a fait couler beaucoup d’encre», reconnaît le directeur de la législation. Que faire pour remédier aux dégâts de cette loi inique et inconstitutionnelle?

Elle sera révisée au profit des propriétaires spoliés, assure l’exécutif. Un projet de loi est examiné au Parlement. «Une solution relativement éclairée», poursuit le ministère, a été trouvée au «conflit d’intérêt» entre propriétaire lésé et acquéreur de bonne foi. Ainsi, le droit de propriété redevient le principe. «Le propriétaire pourra récupérer son bien ou demander une indemnisation au cas où sa rétrocession devient impossible», précise le responsable ministériel. Pour en arriver là, il a fallu encore une fois réunir à la Commission parlementaire justice et législation tout ce que le Royaume compte comme matière grise!

«Le droit de la propriété est un droit fondamental pourtant. C’est clair et net comme de l’eau de roche», insiste Moussa El Khal, l’un des initiateurs de cette rencontre hautement politique et conseiller de victimes, notamment celles affiliées à l’ADJM. «Il faudra tout simplement supprimer cet article», ajoute Me Anibar.

La création d’un Fonds d’indemnisation des propriétaires spoliés est également à l’ordre du jour. Il va compenser les victimes «lorsque la responsabilité juridique d’une administration, d’un notaire ou d’un adoul n’est pas en jeu», selon le ministère de la Justice. Qui va financer ce fonds d’indemnisation et qui va le gérer? La question reste posée. Le gouvernement tient en tout cas à rassurer, notamment les investisseurs acquéreurs de bonne foi. «Et qui n’est pas toujours une bonne foi manifeste», insiste l’Association droit et justice au Maroc. Son SG, Stéphane Vabre, est présent pour témoigner aussi sur ces procès qui ont plus d’un demi-siècle, l’affaire San Victor (voir page suivante)!

Certains avocats se trouvent aussi mêlés à des transactions douteuses. Le cas de la villa Brissot à Casablanca est un échantillon révélateur. Contrairement aux notaires et adouls, la responsabilité pénale des avocats n’est pas en jeu lorsqu’ils rédigent un acte en matière immobilière! L’avocat fautif sera puni s’il est en cas de faux. Cette mesure a été intégrée au projet de loi modifiant le code pénal. «Ces mesures vont bénéficier aux futurs spoliés et pas vraiment aux victimes actuelles», regrette Me Massoud Laghlimi engagé avant l’heure contre les affaires mafieuses.

Les entreprises sont ciblées aussi
«Même les sociétés commerciales sont spoliées de leurs biens fonciers. C’est un autre dilemme», rapporte le président de l’Ordre des notaires, Abdellatif Yagou. Un dirigeant malveillant par exemple va provoquer une assemblée générale fictive pour acter la vente et l’enregistrer au Registre de commerce. D’où un autre amendement intervenu dans le projet de loi relatif au code de commerce. Il va créer le Registre des commerçants et des sociétés pour enregistrer toute formalité relevant de la vie d’une entreprise. L’on sait déjà que les sociétés civiles immobilières n’ont pas de Registre de commerce. Or, ce sont de véritables véhicules juridiques pour les spoliateurs. Même le ministère de la Justice le confirme.

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