PROGRAMMES D’HABITAT: LA VISION D’ABDELAHAD FASSI FEHRI

Nombre de critiques sont adressées aux programmes d’habitat lancés par le gouvernement pour faciliter l’accès aux logements aux différentes couches sociales. Dans une interview accordée aux Inspirations ÉCO, le ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’urbanisme, de l’habitat et de la politique de la ville, Abdelahad Fassi Fehri, livre sa vision sur ces programmes dont celui dédié au milieu rural. Il fait aussi le point sur sa recette pour lutter contre les bidonvilles et la stratégie de renouvellement urbain.

Ne pensez-vous pas qu’il faut réviser le programme de logement social à 250.000 DH ?
Abdelahad Fassi Fehri : La production de logements sociaux est une préoccupation constante et un enjeu majeur du secteur immobilier. L’objectif étant la résorption du déficit en logements accusé par le Maroc, l’intensification et la diversification de l’offre. L’ensemble de mesures visant à promouvoir l’investissement dans ce type de logements (exonérations fiscales au profit des promoteurs, l’octroi d’une aide directe sous forme du versement du montant de la TVA du logement acquis au profit des ménages) ont boosté le secteur immobilier et ont poussé les promoteurs surtout du secteur privé à investir dans ce créneau. En termes de bilan et depuis le lancement du produit à ce jour, 361.000 unités ont été réalisées. Un dynamisme de production qui a permis de participer à résorber le déficit en logements qui est passé de 800.000 unités en 2012 à près de 450.000 unités actuellement. Par ailleurs, le département a réalisé en 2015 une étude d’évaluation de ce produit. Les principales recommandations de cette évaluation prônent un recadrage du dispositif pour une efficience meilleure notamment en ce qui concerne les superficies, les incitations de différents types, le nombre de logements, les sites d’implantation, la prise en compte du paysage urbain, etc. Il est à souligner également que les résultats de l’étude sur la demande en habitat a fait ressortir une demande en logements sociaux (140.000 DH et 250.000 DH) dépassant 40% des demandeurs au niveau national.

Le programme de logements à 140.000 DH mis en place en faveur des ménages les plus défavorisés semble tourner au ralenti. Comment votre département compte-t-il susciter de l’engouement auprès de la population cible ?
L’objectif assigné à la création de ce produit lancé en 2008 était la mise en place d’un nouveau produit d’habitat à faible valeur immobilière au profit des ménages dont le revenu est inférieur ou égal à 2 SMIG. Ce type de logements initialement destiné au programme «Villes sans bidonvilles (VSB) sert aussi les ménages concernés par le relogement dans le cadre du traitement des autres types d’habitat insalubre notamment l’habitat menaçant ruine et la mise à niveau. Selon l’étude d’évaluation du programme lancé en 2015, l’évaluation des impacts de ce dispositif ne saurait se limiter aux indicateurs quantitatifs de sa contribution en termes de production de logements et d’emplois sur le secteur de l’habitat mais doit prendre en considération sa particularité en termes d’impact sur l’ensemble des secteurs de l’économie et de retombées de nature sociale visant la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans ce sens, des pistes de réflexion sont en cours par le département notamment en ce qui concerne l’amélioration et la célérité de la sélection des ménages bénéficiaires. En effet, la commercialisation de ce produit se fait sur la base d’une liste établie au niveau local où la priorité est accordée aux ménages bidonvillois et ceux résidant dans des constructions qui menacent ruine. Notre réflexion porte sur la révision du système d’octroi des avantages fiscaux pour une meilleure attractivité de l’investissement dans ce segment et pour assurer un engouement pour ce produit.

Comment est-il possible de relever le défi de l’emplacement du foncier pour le lancement des opérations étatiques de logement ?
Le foncier est considéré comme une richesse indispensable pour la réalisation du développement durable dans toutes ses dimensions. Il est en effet la plateforme sur laquelle se bâtissent toutes les politiques publiques de l’État dans tous les domaines économique, social, culturel et environnemental. Il demeure un mécanisme essentiel pour la promotion des programmes d’habitat et pour l’amélioration des conditions et du cadre de vie des citoyens. Sa maîtrise reste la clé principale pour la régulation du marché immobilier. Pour ce faire, une nouvelle stratégie d’intervention doit envisager de garantir l’intégration du foncier destiné à l’habitat dans la dynamique du développement économique et social et ceci à travers la facilitation de sa mobilisation et de son accès aux investisseurs selon les règles de la transparence et de la bonne gouvernance. Cette nouvelle stratégie implique le renforcement de la position du ministère sur le plan local et régional en matière de mobilisation et de gestion foncières pour répondre aux attentes des citoyens d’une part et assurer les conditions nécessaires pour réduire le déficit en logement, d’autre part, sans oublier la maîtrise du financement du logement in fine. De même, cette nouvelle approche doit donner la priorité à la mobilisation foncière au profit des programmes de l’État ayant un impact social et économique positif (logement destiné aux couches sociales à faible revenus, lutte contre les bidonvilles, les logements menaçants ruine, les actions préventives pour répondre à la pression démographique et à l’exode rural actuel et à venir, la création de zones d’activités ainsi que les projets structurants, etc.). Tout cela ne peut se faire sans le renforcement de la mobilisation du foncier public et l’intégration du foncier privé dans la chaîne économique.

S’agissant du programme dédié à la classe moyenne, les réalisations sont encore timides par rapport aux besoins. Que prévoyez-vous pour que la relance de ce segment ?
Ce programme a connu une faible adhésion des promoteurs immobiliers du fait qu’ils ne bénéficient d’aucun encouragement ou avantage fiscal ou autre. En effet, ce dispositif offre des avantages orientés uniquement vers les acquéreurs qui bénéficient de l’exonération des droits de timbres, d’enregistrement et des droits d’inscription sur les registres fonciers. Face à cette situation et en vue de répondre à la demande de ce type de logements, le département de l’Habitat a lancé des pistes de réflexion concernant divers types d’incitations permettant d’alléger le coût de revient et de stimuler l’investissement dans ce segment et ceci en concertation avec les départements concernés.

Croyez-vous que le soutien financier à la population cible est la solution pour la promotion de l’habitat en milieu rural ?
La problématique de l’habitat en milieu rural est complexe et diversifiée car l’amélioration des conditions d’habitat des ménages ruraux est le résultat du développement des conditions économiques des ménages concernés ; par conséquent la promotion de l’habitat rural est une action indissociable du développement économique du territoire en question qui nécessite une intervention concertée et convergente entre les départements concernés, notamment le ministère de l’Agriculture, l’INDH, le ministère de l’Équipement et du transport, etc. Toutefois, ce département a toujours été présent dans les territoires considérés ruraux par des actions fortes de mise à niveau en matière de viabilisation et d’amélioration des conditions de vie et ceci par le biais de divers programmes, à savoir les programmes de restructuration (Le ministère a signé entre 2002 et 2017, 271 conventions au profit de 361.667 ménages ruraux avec une enveloppe budgétaire d’environ 8 MMDH). Ces opérations permettent de régulariser et de mettre à niveau ces territoires pour leur permettre d’évoluer et de se projeter significativement dans le développement global de ces zones. D’autre part, ce département, en collaboration avec le PNUD, est en cours d’intervention dans la réhabilitation des Ksour et Kasbah. Cette intervention permet non seulement d’améliorer et de sauvegarder ce patrimoine mais aussi de développer des activités génératrices de revenus pour permettre aux ménages de pérenniser l’entretien de ces sites. Sans omettre l’assistance architecturale, service offert gratuitement pour les ménages souhaitant construire leur logement en milieu rural. Tous ces programmes sont appuyés par un financement du département en charge de l’Habitat au profit des ménages en question ; toutefois le soutien financier direct pourrait constituer une des solutions potentielles, seulement, il peut connaître un glissement de l’aide vers d’autres dépense que leur destination cible. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’actuellement les services du ministère sont en train d’étudier plus profondément la possibilité ou l’alternative de faire intervenir d’autres moyens ou outils de gestion plus souples et plus proches des citoyens cibles (associations, amicales, ONG, autorité locale…).

Que comptez-vous faire pour pallier toutes les contraintes relatives à la lutte contre les bidonvilles ?
Malgré les contraintes, le programme «Villes sans bidonvilles» a permis l’amélioration des conditions de vie de 258.000 ménages, soit plus d’un million d’habitants à travers la déclaration de 58 villes sans bidonvilles sur un total de 85 villes concernées. Pour les ménages restants, quelques 20.315 unités de résorption (lots/logements) sont disponibles et attendent le transfert des ménages et 46.330 unités en cours de travaux et 24.220 sont à l’étude. Pour ce qui est des contraintes, il est à préciser que la principale est celle qui consiste en l’augmentation du nombre de ménages. Quant aux mesures à prendre en vue de pallier aux contraintes et permettre l’accélération du programme, on peut citer la nécessité d’accélérer le transfert des ménages concernés par des unités disponibles (20.315 unité) ; de mobiliser le foncier nécessaire pour la résorption des ménages restants (Casablanca : 410 Ha, Marrakech : 200 Ha, Guercif :182 Ha …) ; d’activer les instances de gouvernance du programme au niveau central présidé par le chef du gouvernement, au niveau régional sous la présidence des walis et au niveau local sous la présidence des gouverneurs et d’intensifier les efforts pour respecter les délais de déclaration des villes restantes sans bidonvilles. Il faut aussi trouver des solutions au problème de l’augmentation continue des ménages vivant dans les bidonvilles avec les secteurs et les parties concernés et développer une base de données sur les ménages bénéficiaires au niveau national afin d’éviter le phénomène de glissement.

Pourquoi est-il important d’élbrer une stratégie de renouvellement urbain ?
La mise en place d’une «stratégie nationale de renouvellement urbain au Maroc» s’impose aujourd’hui comme réponse idoine au phénomène d’étalement urbain et un outil d’aide à la décision des acteurs qui leur permet d’asseoir une vision et une stratégie d’aménagement et de valorisation du potentiel foncier dans les tissus urbains existants et la rationalisation de l’utilisation des infrastructures et réseaux publics. Face à ces enjeux urbains , le ministère de l’Aménagement a initié une réflexion stratégique pour la mise en place d’une «stratégie nationale de renouvellement urbain» ayant pour objectifs l’identification du potentiel foncier des villes en vue de rehausser leurs capacités de renouvellement urbain et les possibilités d’optimisation du tissu existant visant une expansion urbaine maîtrisée des villes, une utilisation rationnelle de la ressource foncière et la construction d’un modèle futur de développement urbain permettant de promouvoir la «ville intense, compacte et renouvelée». Il s’agit à travers cette stratégie d’identifier les gisements fonciers mobilisables au niveau de près de quinze villes du royaume qu’il s’agisse de friches urbaines, des sites de mutations urbaines ou des dents creuses afin d’optimiser les conditions de leur croissance urbaine, d’améliorer leur capacité de densification et d’aménagement, d’anticiper leur développement et de rationaliser la consommation de leur potentiel foncier existant.

Les priorités
Deux dossiers sont inscrits en tête des priorités d’Abdelahad Fassi Fehri : la résorption des bidonvilles et l’habitat menaçant ruine. S’agissant de la lutte contre les bidonvilles, l’objectif est de déclarer à court terme Brouj, Tétouan et Moulay Yacoub villes sans bidonvilles et à moyen terme celles de Challalat, Missour, Sidi Yahya Zaer, Al Hoceïma et Tanger et élaborer des programmes et des conventions au profit des ménages non encore programmés pour mettre fin à ce phénomène. En se référant à la déclaration du gouvernement, l’objectif étant la résorption de 50% des 120.000 ménages restants. S’agissant du second dossier, le ministère en collaboration avec les départements concernés adoptera une approche conventionnelle visant le traitement du reliquat des constructions menaçant ruine recensées en 2012 et veillera à l’application de la loi 94-12 relative aux constructions menaçant ruine et à rendre effectif le rôle de l’Agence nationale de la rénovation urbaine et de la réhabilitation des constructions menaçant ruine.

Le Maroc face aux défis de l’urbanisation
La population urbaine s’est vue multipliée par six, passant de 3,4 millions d’habitants en 1960 à 20,17 millions d’habitants en 2014. Un véritable défi, selon le responsable gouvernemental d’autant plus que les villes marocaines abriteraient en 2050 près de 75% de la population, comme le soulignent les projections du HCP. Abdelahad Fassi Fehri énumère plusieurs défis et enjeux en termes de compétitivité, de création d’emplois, de mixité sociale, d’accès au logement, de cadre de vie et d’environnement, de sécurité, aussi bien qu’en termes de développement humain lié à l’inégalité d’accès aux services de base et à l’emploi. «Soumises à une importante pression urbaine, les villes s’étendent de plus en plus et appellent à de nouvelles réponses en termes d’équipements et de services publics. Ces nouvelles extensions urbaines sont synonymes de surconsommation d’espace, notamment au détriment des terres agricoles et impliquent l’extension des réseaux (transport, assainissement, eau potable, électricité, aménagement de nouvelles voiries, etc.) induisant ainsi des surcoûts pour les collectivités territoriales», souligne-t-il.

leseco.ma

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