Marrakech: Protéger l’histoire contre l’acharnement immobilier

Combien de khettaras, d’espaces verts et de jardins ont déjà disparu sous la frénésie immobilière? Le patrimoine de Marrakech ne se limite pas aux seuls monuments et sites identifiés à l’époque du Protectorat ou au bien du patrimoine mondial de l’Unesco tel qu’il a été inscrit en 1985. Tout un tas de sites et d’éléments de l’histoire méritent d’être identifiés et protégés pour les générations actuelles et futures.

Porté par la recommandation concernant le paysage urbain historique, adoptée par la Conférence générale de l’Unesco le 10 novembre 2011, l’architecte espagnol, Antoni Pujol Niubó, a passé plusieurs années à cataloguer 256 édifices, qui sont l’image et le symbole d’un demi-siècle de l’histoire vivante de Marrakech.

Intégrer les espaces historiques

Accompagné dans cette démarche par la Direction du patrimoine culturel du Maroc et le Collège d’architectes de la Catalogne, cet amoureux de la ville ocre dresse un tableau exhaustif des édifices représentatifs de l’Art déco et de l’architecture dite rationaliste de la période d’Ecochard, le successeur de Prost et proche de Le Corbusier.

Le tout accompagné des titres fonciers, des plans successifs et des photos de l’époque. «Un travail de longue haleine pour lequel la ville de Marrakech lui sera redevable», confie Ahmed Skounti, enseignant-chercheur à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat, qui a participé à la tâche.

«L’origine de l’architecture moderne à Marrakech. Inventaire de l’architecture coloniale et de l’Art déco (1920-1960)» est donc un ouvrage précieux qui réunit les données nécessaires à la prise de décision, s’inscrivant comme un document de base pour entamer la procédure de protection de cette architecture très intéressante. Car, en voilà l’objectif premier: intégrer les espaces historiques plutôt que les voir abandonnés ou détruits au profit d’immeubles.

Respect de l’intégrité artistique et morale des villes anciennes

Plus qu’un inventaire, le lecteur y parcourt des décennies de l’action urbanistique innovante appliquée par Lyautey et Prost dans le villes marocaines.

«Relevons, explique l’auteur espagnol, que le schéma de Prost de 1914 repose sur l’étude des perspectives des axes principaux, soit sur l’Atlas, soit sur la Koutoubia. Le résident général de France défendait le «respect de l’intégrité artistique et morale des villes anciennes», en interdisant l’entrée des non-musulmans dans les mosquées, ou encore l’architecte Henri Prost qui, dans un souci de préservation de l’intimité, a interdit l’ouverture de fenêtres sur les terrasses voisines».

Cette nouvelle politique urbaine, également prise comme référence en France, reposait sur l’enseignement des erreurs passées.

En effet, les architectes français ne voulaient pas réitérer l’expérience appliquée en Algérie et en Tunisie, qui avait provoqué l’éclatement des médinas par l’ouverture de grands boulevards, et la perte d’identité, de caractères et d’échelle des villes. La peur de Pujol Niubó? Que Marrakech cesse d’être la ville rouge.

Bien possible avec le temps sachant que le marché municipal du Guéliz, œuvre très représentative de l’Art déco, rasé en 2005, servait de référence pour tout autre badigeon extérieur d’immeubles et de villas.

Recommandations

Pour que cette approche centrée sur le paysage urbain historique prenne vie, plusieurs outils sont à mettre en place. Il s’agit donc de renforcer:

– la participation civique qui passe par l’élaboration d’un mécanisme de participation de l’ensemble des parties prenantes concernées par la gestion de l’espace urbain et de son environnement,
– la connaissance et la planification qui permettent de mieux identifier afin de protéger les attributs significatifs du paysage urbain historique,
– la réglementation qui permet de disposer d’outils juridiques de protection et de sauvegarde des composantes matérielles et immatérielles de la ville,
– les moyens financiers qui permettent d’appuyer et de renforcer les capacités, un investissement innovant et générateur de ressources, y compris le partenariat public-privé et le microcrédit.

leconomiste.com

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