Nexity, premier promoteur français, affiche des résultats records pour l’année 2017 mais s’attend à un ralentissement du marché résidentiel en 2018. Son président-directeur général, Alain Dinin, estime que la loi Élan, préparée par le ministre de la Cohésion des territoires, est trop éloignée des préoccupations quotidiennes des Français.
L’année 2017 a été bonne pour le secteur du logement. A-t-elle à la hauteur de vos espérances ?
ALAIN DININ – L’année a été excellente ! Nous avons battu toutes nos prévisions. Le chiffre d’affaires de Nexity a augmenté de 14%, alors que nous pensions faire +10%. Notre carnet de commandes a progressé de 20%, à 4,8 milliards d’euros, ce qui représente l’équivalent de deux ans de chiffre d’affaires devant nous. Quant au résultat net, il a crû de 33%. En matière de logement, nous avons dépassé les 21.000 réservations, soit un potentiel d’activités pour trois ans. Même chose en immobilier tertiaire. Tous les voyants sont donc au vert. En réalité, dès 2016, nous avions anticipé le maintien durable des faibles taux d’intérêt, de même que nous bénéficions des mesures prises par le gouvernement précédent. Le gouvernement Philippe a lui aussi plein de bonnes intentions, mais l’impact de ses mesures ne sera vérifiable qu’en 2019-2020. De même, au-delà de ces performances qui devraient nous faire apparaître comme le numéro un du secteur, nous avons connu un phénomène de concours de circonstances qui fait que les autres sociétés de promotion rencontrent des résultats assez similaires aux nôtres.
Et qu’en sera-t-il pour 2018 ?
Pour 2018, nous considérons que le marché du résidentiel, qui constitue notre activité principale, devrait être un peu plus calme, puisque le gouvernement a mis en place des mesures restrictives sur la zone B2 [villes-centres de grandes agglomérations, de la grande couronne parisienne, et… quelques communes de Corse, ndlr]. Aussi la construction ainsi que la vente vont-elles ralentir. Plus généralement, notre stratégie est multiproduit, avec une répartition assez large et dense, si bien que nous sommes aujourd’hui à plus de 14% de parts de marché. Si nous atteignons 20% en Île-de-France, nous plafonnons à 14% en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous considérons toutefois que nous allons continuer à prendre des parts de marché.
Le projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique, dite loi Élan, devrait être présenté en Conseil des ministres le 28 mars. Répond-elle à ces attentes justement ?
Entre l’avant-projet de loi présenté début décembre 2017, les 650 propositions issues de la conférence de consensus, les allers-retours sur le texte et les navettes parlementaires, je ne vois pas comment la loi Élan va pouvoir être réellement active avant la fin de 2018. Si nous reprenons le raisonnement initial, nous n’aurons des impacts sur la production de logements qu’en 2020 si nous sommes optimistes. Pourquoi le gouvernement dit-il qu’il favorisera la construction, qu’il assouplira les normes et qu’il accélérera les permis, alors qu’il recule sur leur transfert aux intercommunalités ? Certes, c’est très bien que les maires puissent garder les permis de construire, mais cela peut entraîner des comportements électoralistes.
Y compris à l’échelle du Grand Paris ?
Aujourd’hui, quand vous voulez construire en zone urbaine, se pose la question des équipements publics et de leur financement. Par exemple, le gouvernement a décidé de ralentir la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express et de décaler sa livraison à quatre ans. Dès lors, tous les permis de construire prennent quatre ans de retard sur le plateau de Saclay. Un choc d’offre, qui ne prend en compte ni la demande ni la problématique des transports ou des équipements publics en général ne me paraît pas d’une efficacité redoutable. Le problème est le suivant : il y a plein de belles intentions qui vont rester lettre morte, sauf que, petit à petit, nous aurons de plus en plus de mal-logés avec des prix de vente excessifs.
L’immobilier représente en moyenne 28% du budget des ménages. Comment agissez-vous pour stabiliser cette dépense ?
J’arrive déjà à ne pas les augmenter ! Le client qui achète un logement chez nous dépense, en moyenne, 220.400 euros pour 56,3 mètres carrés à un prix moyen de 3.915 euros le mètre carré. En 2016, ce chiffre était de 217.000 euros et a donc connu une hausse de 3% l’an dernier. En revanche, nous retrouvons toujours 19% de primo-accédants, 44% d’investisseurs, 31% de bailleurs et 6% d’autres accédants. Lorsque, dans la banlieue lyonnaise, nous sommes obligés à sortir du 6.500 euros au mètre carré, je peux donc dire non, car j’ai suffisamment de terrains pour me permettre de ne pas l’accepter. En revanche, dans la loi Élan, rien ne plafonne les prix de vente des terrains… Si nous voulons qu’ils baissent, il faut d’abord qu’il y ait suffisamment de terrains. Nous attendons que ce texte fasse son plein effet, car de nombreux promoteurs, comme nous, ont besoin de ces terrains. Depuis 2007, les charges foncières ont ainsi été multipliées par six en Île-de-France, alors que le prix des logements a doublé. Rien ne permet de réduire le coût de revient d’un logement…
Cette année, le thème du Mipim [Marché international des professionnels de l’immobilier, Ndlr] sera la vie en ville en 2030. Comment vous préparez-vous à loger tout le monde ?
Quand vous regardez les statistiques de 2030, la population aura augmenté de 7 millions de personnes, soit 4 millions de ménages et 400.000 logements de plus à fabriquer par an. Si vous habitez en Île-de-France ou en zone urbaine, la matière première la plus rare reste le terrain. En ce sens, la loi Élan va dans le bon sens, mais en 2019 et 2020, il faudra trouver des terrains et les prix ne sont pas près de baisser. Le temps que nous nous concertions, les terrains libres demeureront rares et donc chers. Il y a énormément de demandes, mais peu d’offres et seulement pour une clientèle « riche ».
Dans ces conditions, comment allons-nous faire pour nous occuper de celles et ceux qui n’ont pas les moyens ? Rien n’est dit pour les gens en situation monoparentale, ni sur les personnes âgées qui veulent continuer à habiter en zone urbaine, ni aux copropriétaires sur comment rénove-t-on un bâtiment. Quand vous faites la somme, c’est beaucoup de bruit pour… pas grand chose. Partir uniquement de la question de l’offre, c’est une erreur de raisonnement dès le départ.
Et d’ailleurs, comment anticipez-vous le vieillissement de la population ?
C’est le sujet du vivre ensemble. Comment vivre en 2050 pose d’abord la question de la nature des personnes. Or, la loi Élan ne parle pas de la population, ni de la composition démographique. Vous pouvez parler des voitures connectées, des personnes âgées, mais il reste avant tout un modèle à trouver. Il ne faut plus réfléchir en silo ! Regardez les cinq réunions thématiques de la conférence de consensus au Sénat – le rôle et la place des collectivités dans la politique du logement, l’accélération de la construction de logements et les enjeux liés à la simplification des normes de construction et d’urbanisme, les enjeux et évolutions du secteur social, les enjeux du secteur privé, la revitalisation des centres-villes moyennes et les enjeux attachés à la cohésion des territoires -, elles n’ont fonctionné qu’en unilatéral !
Nous sommes actionnaires de la société Aegide Domitys, premier opérateur de résidences non médicalisées pour personnes âgées, de même que nous détenons Studea pour les résidences étudiantes. Aussi, quand le président Macron dit : « Je veux fabriquer 80.000 places étudiantes de plus ! », nous sommes d’accord, mais qui va les financer ? Les acheter ? L’État ? Les collectivités ? Action Logement ? La Caisse des dépôts et consignations ? Pourquoi n’y a-t-on pas réfléchi ensemble ? Des solutions existent. Encore faut-il poser à plat les questions de fiscalité, de financement ou encore de partenariat public-privé !
Enfin, quel regard portez-vous sur l’innovation, ce qu’on appelle la real estech ?
Nous avons déjà pris ce tournant en investissant près de 30 millions d’euros, soit 10% de notre résultat opérationnel, en innovation, objets connectés et nouveaux services. Nous travaillons sur plein de thèmes comme lors de la conquête de l’Ouest. Nos caravanes sont parties chercher de l’or, mais elles rapporteront soit du fer soit du pétrole. Depuis peu, notre programme Eugénie offre de la domotique classique et de la relation à l’autre, au syndic, au quartier et même au restaurant du coin. Nous travaillons également sur la maquette numérique, cette blockchain de l’ensemble qui fonctionne de l’achat du terrain à la livraison du bien. Il nous arrive aussi de monter des partenariats stratégiques, par exemple avec Engie, pour réaliser des économies d’énergie. Nexity, promoteur depuis 2000 passé d’une matrice métier à une matrice client, y investira continûment dans les cinq ans à venir.
Un leader en pleine forme
Né à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) le 22 février 1951, Alain Dinin est diplômé de l’ESC Lille en 1974 avant d’être promu directeur général chez George V puis chez Férinel (1978-1995). Après un passage à la Compagnie générale d’immobilier et de services comme directeur général entre 1996 à 2000, il entre chez Nexity en 2000 comme vice-président et directeur général. Président du directoire en janvier 2003, il est élu président-directeur général en septembre 2004. En 2017, tous les voyants sont au vert pour Nexity qui s’affirme comme le leader de la promotion immobilière en France (14% des parts de marché) et en Île-de-France (20%) : + 14% de chiffres d’affaires, + 20% de carnet de commandes (4,8 milliards d’euros), + 33% de résultat net, et déjà 21.000 réservations de logements pour 2018. Avec une vente moyenne à 220.400 euros pour 56,3 mètres carrés, il compte 44% d’investisseurs, 31% de bailleurs, 19% de primo-accédants et 6% d’autres accédants.
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